9 janvier 2007

La pauvreté au Cameroun

La pauvreté au Cameroun : Une lecture synthétique du DSRP[1] du Cameroun.
Par Luc FOLEU,
Février 2004


Entre 1996 et 2001, la ligne de pauvreté a reculée. En 1996, il fallait ajouter en moyenne 35 429 francs CFA de revenus pour sortir un individu de la pauvreté ; en 2001, ce supplément est descendu à 26 154 francs CFA. En 5 ans la pauvreté a reculé mais elle demeure présente car 4/10 camerounais vivent toujours en dessous du seuil monétaire de la pauvreté, c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour. L’un des objectifs du millénaire auxquels le Cameroun à souscrit c’est de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015. Pour y arriver, il importe de savoir aujourd’hui : qui sont les pauvres, qu’est ce qui les rend pauvres. Les réponses au deux précédentes questions devraient nous permettre de répondre à la suivante, que faut-il faire pour sortir 25% de la population camerounaise de la pauvreté d’ici 2015 ?



Les visages de la pauvreté
Les consultations participatives pour l’élaboration du DRSP et ECAM II nous enseignent que la pauvreté au Cameroun est rurale, intellectuelle et socio-économique.

Elle est rurale parce que 8/10 pauvres vivent en zones rurales. Le niveau de pauvreté aussi varie aussi en fonction des zones agro-écologiques ; on note ainsi que les régions de savane sont les plus touchées par la pauvreté (Nord et Extrême Nord).

Elles est intellectuelle car plus on est instruit plus on a de chance de ne pas devenir pauvres, « 44,5% des pauvres vivent dans des ménages dont le chef n’a aucun niveau d’instruction »[2]

Elle est socio-économique car les catégories d’activités économiques où la pauvreté a plus d’incidence sont par ordre de grandeur : exploitants agricoles, entrepreneurs individuels, salariés agricoles.

Sexe et pauvreté
Selon ECAM II, 80% des pauvres vivent dans les ménages dirigés par les hommes. Mais de manière globale et vu leur supériorité numérique, les femmes sont plus touchées que les hommes.


Les facteurs de risque
Nous allons ici évoquer les éléments identifiés comme déterminant de la pauvreté au Cameroun ; en d’autres termes, on répondra à la question suivante : Pourquoi certains camerounais (40% de la population) ne gagnent-ils pas plus d’1 dollars par jour ?

Un modèle de régression multiple a permis de relever que plusieurs facteurs sont responsables du faible niveau de revenu de la moitié de la population camerounaise au premier rang desquels, l’instruction, le groupe socio-économique et les infrastructures économiques.

En effet, à l’analyse, « un ménage dont le chef a le niveau du supérieur a environ 6 fois plus de chance d’échapper à la pauvreté par rapport à un ménage dont le chef est sans niveau »[3]. Par ailleurs, les ménages dont le chef est ou agriculteurs, ou chômeurs, ou inactifs, ou travailleurs informels sont plus exposés à la pauvreté que les autres car ils sont moins nantis et ne bénéficient pas d’une protection sociale adéquate comme les chefs de ménage qui exercent dans le secteur privé formel et dans le secteur public.

A ces deux variables liées s’ajoute « l’absence d’infrastructures économiques et particulièrement le mauvais état des routes en milieu urbain et l’enclavement des villages [qui] rendent difficiles les conditions de vie des ménages »[4].

On peut donc dire que les pauvres au Cameroun sont issus des ménages dont le chef, de sexe masculin ou féminin, est peu instruit et exerce dans un secteur d’activité précaire. Ils résident généralement en milieu rural ou dans des zones difficiles d’accès et ayant peu ou presque pas d’opportunités économiques (faible accès aux marchés ou aux ressources telles que le crédit, le conseil,..).


Nous venons d’identifier les pauvres au Cameroun et les principales causes de leur pauvreté. L’agenda du Cameroun prévoit une réduction de moitié de l’effectif de ce groupe à l’horizon 2015. Que faut-il donc faire pour que ce projet devienne une réalité dans 11 ans. ?


Des potentielles voies de sortie
Pour lutter contre ce phénomène, il faut non seulement s’attaquer à ses racines (facteurs de risques) mais aussi à leurs symptômes ou effets induits.

L’éducation
Les chefs de ménage à cause de leur faible niveau d’instruction, ne peuvent prétendre à des occupations à forte et pérennes rétributions financières. En conséquence, ils se livrent à des activités qui leur procurent surtout de quoi se nourrir (56% de leurs revenus sont consacrés à l’alimentation en milieu rural) et très peu pour l’éducation de leurs enfants (ils y consacrent 5,4% de leur revenus annuels), entretenant ainsi le cercle vicieux de la pauvreté.

Il n’est certes plus possible de refaire l’éducation des chefs de ménage mais on peut encore leur apporter les connaissances qui leur permettraient de rendre leurs activités génératrices de revenus plus rentables : formation et conseil à faible coût.

Les infrastructures sociales et économiques
Pour l’ensemble de la population camerounaise, 50% des ménages ont accès à l’eau potable (2001) et 46% au courant électrique pour l’éclairage ; mais, « les taux d’accès sont 3 fois plus élevés en zone urbaine qu’en zone rurale aussi bien pour l’eau potable que pour l’énergie électrique »[5].L’accès aux autres commodités de la vie (éducation, santé, transport,…) n’est pas plus facile pour les ménages pauvres affectant ainsi leur capacité à accéder aux marchés et à participer à la vie économique.

En somme, si on est instruit et que l’on réside en zone rurale, on a plus de chance de devenir ou de demeurer pauvre. En effet, « la distance par rapport à la route bitumée la plus proche a été identifiée comme une source de paupérisation des ménages ».

Il faudrait donc un vaste programme de développement des infrastructures socio-économiques en milieu rural pour y éradiquer la pauvreté. Ceci demande beaucoup de temps et les pauvres n’ont pas ce temps.

A court terme et moyen terme, des actions peuvent tout de même être entreprises :


1. Appui aux agriculteurs pour une meilleure commercialisation de leurs produits ;
La libéralisation des filières des produits agricoles de base et la crise sur le marché mondial à créer une forte précarité au niveau des paysans. Les organisations faîtières, n’étant pas préparé pour faire face à de telles situations (problèmes de management et de vision), n’ont pas pu apporter l’appui nécessaire à leurs membres. Les paysans se sont donc retrouvés tout seul avec le produit de leurs récoltes et avec en face des opérateurs privés soit usuriers soit acheteurs véreux. On observe les résultats aujourd’hui.

Il s’agira ici d’apporter un appui aux producteurs à travers leurs organisations faîtières ou groupes (GIC, Union de GIC, coopératives agricoles) pour la mise sur pied de mécanismes et circuits de commercialisation efficace et de les mettre en connexion avec des partenaires étrangers fiables.

2. Appui aux agriculteurs pour la diversification de leurs sources de revenus ;
C’est la dépendance des agriculteurs envers les cultures de rente (cacao, café,…) ou « cash crops » qui a accéléré leur paupérisation. Diversifier leurs sources de revenus peut donc s’avérer extrêmement salutaire.
Il existe d’ailleurs plusieurs domaines où la demande nationale demeure insatisfaite, tant en quantité qu’en qualité : haricots, poissons, maïs, poulets, etc…

Pour que les pauvres arrivent à diversifier leurs sources de revenus, il leur faut 2 choses : des connaissances dans le domaine à embrasser et un capital de départ. L’appui consisterait donc ici à améliorer l’offre de services financiers (Etablissement de micro finance) et non financiers (local service provider ou ONG ou organisations faîtières) ; ceci à travers une assistance ou un appui aux fournisseurs de ces services.

3. Appui aux communes pour le développement des infrastructures
Nous avons déjà relever plus haut que l’absence des infrastructures peut annihiler tout effort ou potentiel existant. A quoi cela sert d’avoir des produits à vendre, s’il n y a pas de moyens pour les acheminer au marché ? A quoi cela sert d’avoir de l’argent pour se soigner lorsqu’il n y a pas de centre de santé facilement accessible (tant en termes de distance que de prix) ? Peut-on être productif s’y on n’est pas en bonne santé physique et morale ? C’est dire toute l’importance de ce volet.

A défaut de mettre en place des programmes d’améliorations de ces infrastructures, il faudrait renforcer les capacités de lobbying des pouvoirs locaux (mairies, comités de développement et chefferies) afin qu’ils puissent attirer vers leurs régions les ressources nécessaires pour réaliser ces infrastructures. Il s’agira de les aider à planifier, monter un projet, négocier des financements (PPTE, fonds d’ambassades, ONG, budget de l’Etat, etc…) et rendre compte de manière transparente tant aux bénéficiaires qu’aux bailleurs et partenaires.

Cette approche sera d’autant plus efficace que les trois volets ci-dessous seront mis en œuvre dans une même aire géographique ou région (arrondissement par exemple) et de manière coordonnée.

Les mesures prônées ci-dessus concernent presque exclusivement les pauvres qui vivent de l’agriculture. Pourtant ils ne sont pas les seuls pauvres. Ils existent une autre catégorie de personnes qu’on peut qualifier de « débrouillards » et que l’on désigne souvent par entrepreneurs informels. Ces derniers sont une minorité en zone rurale mais ils constituent le gros du contingent des pauvres urbains. Ils ont un accès facile aux marchés mais pas au capital et à la connaissance, nécessaires pourtant pour une croissance durable de leurs entreprises.


4. Pour ces entrepreneurs informels, un programme d’appui intégré, comprenant crédit et formation (y compris dans les NTIC), nous semble prioritaire.
[1] DSRP : Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté
[2] DSRP, p.22, paragraphe 69
[3] DSRP, p.39, Encadré 7
[4] op. cit.
[5] DRSP, p. 29, paragraphe 93

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